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Critiques et autres broutilles

22 mai 2010

Tournée de Mathieu Amalric

Mathieu Amalric sous les projecteurs

Après la frayeur de voir s'envoler palmiers, croisette et tapis rouge, le 63ème Festival de Cannes s'est ouvert sans encombres (bien que sous la pluie) et offre déjà le meilleur de lui-même. Ce sera sans Russel Crowe dont on a boudé le Robin des Bois, persuadé que les inconditionnels de Ridley Scott se sont déjà précipités dans les salles dès sa sortie, le 12 mai, alors même qu'il faisait l'ouverture du festival.

Le premier film de la compétition est un film français et séduit d'emblée la salle comble du Grand Palais. Mathieu Amalric, acteur fétiche d'Arnaud Desplechin (Un conte de Noël) et star du Festival de Cannes 2008 pour sa performance du Scaphandre et le papillon, nous revient avec Tournée dont il est à la fois l'acteur principal et le réalisateur. Producteur de télévision parisien à succès, le film s'ouvre alors que Joachim, alias Amalric, revient des Etats-Unis pour qui il avait jadis tout plaqué : le boulot, la famille, les amours, les amis... Dénicheur de talent désabusé et écœuré de la montée en puissance du business plutôt que du show, Joachim galère entre deux spectacles cabarets dans lesquels s'exhibent des américaines rondes et à la poitrine généreuse, plus toutes jeunes mais totalement déjantées, dans un show plus burlesque que sexy. Ce concept à la fois nouveau et vieillot, volontairement moche et diablement libéré, ne séduit pas le public parisien et fait perdre à Joachim sont théâtre.

Commence alors la véritable tournée du film, celle, diurne, de ce producteur abandonné de ses pairs, et autrefois amis, pour ne pas avoir voulu sacrifier ses idéaux et son amour du spectacle au profit du fric. Alors que la nuit n'est que fête, paillette, champagne et paires de seins à gogo, les journées de Joachim sont mornes, grises et silencieuse, lui qui ne supporte plus la musique une fois sorti du show. Cette amusante obsession du personnage dévoile en réalité le vrai burlesque, cette fois-ci, de notre société : musiques d'ascenseurs, d'hôtels, de stations service et de postes de télévision... autant de parasites dans la tête du pauvre Joachim qui supplie à chaque fois le gérant des lieux de baisser le son mais se retrouve toujours face à un refus catégorique : la musique tourne en boucle, personne ne peut l'arrêter. Un peu comme cette tournée qui s'éternise dans les capitales de France mais qui semble ne jamais pouvoir atteindre sa véritable destination : Paris, lieu de tous les fantasmes glamours de ces show girls en ébullition, quand elle est pour Joachim le lieu de tous ses échecs : son divorce, sa ruine, son incapacité d'être un père pour ses deux fils.

Pour l'ouverture de cette 63ème compétition, Mathieu Amalric a mis dans le mille : un film sans prétentions mais prometteur et qui ne déçoit aucune attente, émouvant sans pourtant se prendre au sérieux et profondément d'actualité, alors même que sortis de salle, les spectateurs se replongent dans le flux incessant des films du festival. Show must go on...

 

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11 janvier 2010

Max et les maximonstres de Spike Jonze

« Sa majesté des monstres »

Attention, petit bijou ! Sous des apparences trompeuses (de grosses peluches sur pattes avec des têtes en images de synthèse), Max et les maximonstres n’a rien d’un énième film pour enfant, aux effets spéciaux un peu moches, cachant la vacuité d’un propos souvent simpliste. On ira même plus loin, l’adaptation du célèbre livre de jeunesse de Maurice Sendak (qui ne se lit qu’en quelques pages) propose, enfin, une vision sincère et complexe des univers si tangibles des petits hommes de « l’âge de raison ».

Après l’inclassable Dans la peau de John Malkovitch, Spike Jonze nous livre un film d’une grande sensibilité qui ne transparaît pas, pour autant, sans de formidables scènes de pure violence visuelle. Précisons que Max et les maximonstres, voyage initiatique dans lequelle le jeune héros, débordant de colère et de sentiment d’injustice face à une grande sœur indifférente et une mère qui refait sa vie sous ses yeux, s’ouvre d’abord sur une terrible bagarre entre le jeune garçon… et son chien ! Déguisé en loup et armé d’une fourchette, Max terrorise (il n’y a pas d’autre mot) la pauvre bête qui hurle et fuit comme elle peut à travers la maison mise sans dessus dessous. D’animaux et de petit garçon il n’est plus question, les monstres deviennent le sujet de ce conte si déroutant.

Le titre français - bien qu’il mette en avant l’idée que les monstres que Max s’invente, un soir où sa mère le renvoie dans sa chambre sans manger, sont des créatures démesurées issues de son ressentiment le plus profond - ne traduit pas en réalité la vraie belle idée de l’histoire. L’île où se réfugie Max et qui est habitée par ces « monstres » livrés à eux-mêmes et qui vont voir dans le petit garçon un roi, est un endroit « où se trouvent les choses sauvages » (Where the wild things are). Sa Majesté des mouches n’est pas loin… Max, en effet, est cet enfant du roman fondateur de William Golding qui montrait déjà la fragilité de la part d’humanité qui est en chacun de nous. L’île, où se retrouvait une bande de jeunes garçons naufragés devant faire face à la survie, apparaissait déjà comme le lieu de toutes violences refoulées.

Tout comme Peter Brooks avait mis en scène ce classique de la littérature en mettant en avant de «vraies vues » d’enfants se battant dans la rue, Spike Jonze met en scène de terrifiantes « batailles » où le jeu frôle souvent la mort. Plus proche du cinéma populaire des années 80 par son approche philosophique (on pense à l’inimitable Histoire sans fin) et son traitement des plus réalistes, Max et les maximonstres ose et traduit à l’écran ce que peu de films jeunesse ose désormais traiter, exception faite de l’injustement passé sous silence Secret de Térabithia. Ces monstres tristes et désabusés, car incapables de se contrôler et de se prendre par la main, attendent désespérément un roi qu’ils finissent souvent par avaler tout cru, par simple caprice.

Max qui, de son côté, doit tout apprendre de son rôle de roi, se voit attribuer un pays dont une majeure partie est un désert. Déception de l’enfant mais aussi naissance de rêves et émergences de projets nouveaux. Du sable et des dunes pour lui rappeler tout ce qu’il a, jadis, détruit autour de lui ? Ou la promesse d’un royaume à bâtir de ses propres mains… Freiner le monstre qui est en nous mais aussi, et surtout, libérer l’enfant de 10 ans qui toujours sommeille… ce magnifique conte de 1963 n’en a pas finit de faire sens, aujourd’hui encore. A la prouesse narrative et visuelle vient se greffer, à merveille, une bande originale des plus enchanteresses, dont Charlotte Gainsbourg signe un des titres. Mais, chut… On ne vous raconte plus rien, il faut courir le voir !

 

11 janvier 2010

Que se mettre sous la dent en 2010 ?

Top 2009 : séance de rattrapage

Alors qu’Avatar balaye Twilight (qui avait balayé 2012, qui avait balayé Harry Potter, qui avait balayé Arthur, qui avait…), 2009 se termine et un bon nombre de petits bijoux semblent passés à la trappe. Une séance de rattrapage s’impose…

2009 n’est pas seulement l’année où Mickael Jackson nous quitte (pour de vrai) et où Johnny Hallyday fait ses adieux (pour de faux). C’est aussi le dernier film officiel de Clint Eastwood qui tire sa révérence dans le magistral Gran Torino, c’est l’année où Hitler est mort sous les coups des Inglorious Bastards de Tarantino et Dumbledore sous les yeux de Harry Potter.

Coups de cœur…

2009 ce sont surtout de véritables coups de cœur que je vous livre ici en quelques lignes : Dans la brume électrique, de Bertrand Tavernier, sombre affaire de meurtres auxquelles se mêlent les fantômes du passé d’un Tommy Lee Jones en détective désabusé ; Ponyo, du génial Hayao Miyasaki qui nous plonge dans une magnifique fable écologique ; Tulpan, une comédie singulière au beau milieu des steppes kazhakes où un jeune garçon rêve de mariage ; Ce cher mois d’août, film portugais inclassable, à qui je décerne pourtant la palme, qui nous plonge au cœur du Portugal montagnard et suit, non sans espièglerie la vie des villageois ; Wendy et Lucy, fable cruelle d’une jeune femme et de son chien sur les routes ; The Poposition, dernier grand western en date ; Tokyo Sonata, de Kiyoshi Kurosawa, perle du cinéma contemporain japonais dans lequel un jeune garçon décide contre la volonté de son père de jouer du piano ; D’une seule voix, documentaire déroutant sur des choristes Palestiniens et Israéliens tentant de se rassembler le temps d’un concert ; La Route, chef d’œuvre visuel et d’anticipation sur un monde post apocalyptique ; Rapt, de Lucas Belvaux, ou comment parler des nouvelles formes de barbarie de notre société.

Pour les cinéphiles purs et durs enfin, comment ne pas évoquer la redécouverte de L’Enfer, de Henry-Georges Clouzot, resté sous scellé depuis 1964, film aux formes révolutionnaires qui aurait pu changer le visage du cinéma français.

Top 2010 : à vos agendas !

Très vite maintenant, les films à venir : le nouvel opus d’Harry Potter (si, si, c’est in-con-tour-nable !) ; La Princesse et la Grenouille où Disney renoue enfin avec la magie pure et simple de la 2D ; Alice au pays des merveilles selon Tim Burton avec Johnny Depp… en chapelier fou ! ; Mr Nobody ou l’improbable scénario d’un homme qui a tout oublié et tente désespérément de se ressouvenir ; I love you Philip Morris, folle comédie dramatique dans laquelle  Jim Carey, homosexuel, tente l’impossible pour rejoindre celui qu’il aime ; Mother, par le réalisateur coréen du très remarqué The Host, sublime portrait d’une mère qui se bat pour son fils idiot accusé de meurtre ; La Horde et La Meute, deux films d’horreur français ; et parce qu’on ne peut pas rester là-dessus et que c’est encore un peu Noël… Robin des Bois, le dernier Ridley Scott avec l’irrésistible Russel Crowe !

Tous à vos écrans donc, le grand (c’est mieux) comme le petit, pour des séances de révisions, de rattrapage et de pur plaisir cinéphile.

10 décembre 2009

Loup de Nicolas Vanier

Un loup pour l’homme

 

 

Alors que le documentaire animalier redevient à la mode, depuis l’âge d’or des films Disney, grâce à Yann Artus Bertrand, Nicolas Vanier apporte également sa « patte » avec Loup, son second long métrage après Le Dernier trappeur. Son amour de la Sibérie lui fait quitter la grande aventure du Canada, quelques mois seulement après la sortie de son premier film. Il passe alors un an aux côtés des Evènes, un peuple nomade éleveur de rennes de génération en génération. On pourrait donc s’attendre, jusqu’ici, au classique « film de Noël », un brin écologiste et à la morale tambourineuse du si facile « vois comme le retour à la nature vaut mieux que ta ville polluée et infestée de téléphones portables et d’ordinateurs ». C’est ce qu’on pouvait du moins reprocher au Dernier trappeur et sa leçon de vie indigeste sur les choses simples de la vie. Surtout lorsqu’elles se passent à des milliers de kilomètres de chez nous…

 

Loup est un tournant dans la petite filmographie de Nicolas Vanier. Mais un tournant silencieux, inavoué, en creux de son cinéma et de ce qu’il entend y faire passer. Car d’emblée, la démarche du reporter /cinéaste qu’il est, est une démarche biaisée, bancale. Nicolas Vanier, on lui accorde, est un grand explorateur. Un des derniers peut-être même. Au même titre que son trappeur solitaire qui arpente les immensités enneigées du grand Nord, il continue de parcourir les steppes sauvages, à la recherche de peuplades et de cultures ancestrales mais pour nous toujours nouvelles. Seulement voilà, Nicolas Vanier, en plus d’être un « conteur » au sens où il nous raconte ses aventures (on peut se procurer ses romans), est également cinéaste. Un peu à la façon Connaissance du monde ? Pas vraiment, non. Or c’est bien là tout l’intérêt mais aussi toute la difficulté de son cinéma docu-fiction.

 

Nicolas Vanier vit ses histoires. Il passe plusieurs mois avec son trappeur puis un an avec les éleveurs de rennes. Il observe, reçoit et expérimente des mœurs et des modes de vie dans des conditions extrêmes. Mais lorsque son œil devient celui du cinéaste il semble mettre de côté tout l’aspect documentaire pour plonger dans la fiction, dans la lignée d’un Jack London qu’il lit depuis tout petit. Avec Loup, Nicolas Vanier contredit en réalité son propre propos. Plus proche du Croc Blanc de Kubrick que de son propre film Le Dernier trappeur, le cinéaste livre l’histoire d’un garçon qui va défier les lois ancestrales de son clan en refusant de chasser la meute de loups sur son territoire d’éleveur de rennes. La fabuleuse amitié que le film décrit entre ce jeune garçon et les loups qu’il apprivoise petit à petit se généralise alors auprès d’autres membres du clan, dont son père, chef du village nomade. Dans une magnifique séquence ou ce dernier accepte sans véritablement comprendre les actes criminels de son fils fautif, il décide de fermer les yeux sur cette folle histoire d’amour contre nature.

 

Le film, s’il s’était arrêté là, aurait été un petit bijou de retenue et de subtilité alors même qu’il s’annonçait film grand spectacle au discours facile. Mais Nicolas Vanier rétablit son propre tir et ancre son épopée rebelle dans une norme décevante : une voix off nous rappelle en fin de parcours que le loup n’est pas l’ami de l’homme et qu’il ne peut donc cohabiter avec lui. Rétablissement de la chaîne naturelle, porte ouverte à la chasse aux loups ? Une scène sauve cependant le film de l’enlisement « écolo pour les nuls ». La question de la déforestation est évoquée, le temps d’un cours dialogue entre deux éleveurs : « Bientôt, il n’y aura plus rien » affirme, soucieux, l’un d’entre eux. L’homme, un nouveau loup ?

 

30 novembre 2009

L'Imaginarium du Dr Parnassus

Terry Gilliam dans tous ses états

 

Comment aborder ce film si barré et difficile d’accès à la fois ? Car disons le tout de suite, si L’Imaginarium du Dr Parnassus nous a transporté, c’est sans compter les longueurs et les décrochages inévitables d’un film pourtant haut en couleurs ! Les inconditionnels aimeront. Après Le Baron de Münchausen, Les Frères Grimm et Tideland (tous les deux boudés par la presse et le public), le scénariste et réalisateur, ancien Monty Python, nous revient plus décalé que jamais ! Inutile donc d’ajouter que les spectateurs moins convaincus ne trouveront pas leur compte dans ce nouvel opus.

C’est que Terry Gilliam a tout d’un cinéaste maudit. Ayant perdu la confiance des producteurs qui le jugent désormais réalisateur à risques, le cinéaste voit la date de tournage de ses films reculer à chaque pas qu’il fait. Un cauchemar qui n’est pas sans rappeler l’univers surréaliste et angoissant dans lequel le Dr Parnassus plonge parfois les âmes innocentes qui viennent à sa rencontre… Problèmes de financements, d’acteurs, de droits, et parfois même, problèmes météorologiques ( !), Terry Gilliam se voit souvent dans l’obligation d’abandonner films sur films. On se souviendra du sublime projet L’Homme qui tua Don Quichotte que Jean Rochefort, acteur principal, dut interrompre pour raisons de santé. Les Frères Grimm voit également disparaître un des acteurs quand L’Imaginarium perd lui le talentueux Heath Ledger en plein milieu du tournage.

Or c’est là que l’illusionniste va opérer. En véritable fabriquant d’images, Terry Gilliam, qui voit son film à nouveau au bord du gouffre, décide de tricher avec le sort. En vrai magicien, il va « truquer «  chaque plans de son film. Et Heath Ledger de continuer à vivre… Se met alors en place la formidable mise en abime d’un cinéma des premiers temps qui renaît sous les doigts enchanteurs du cinéaste et sous nos yeux émerveillés. L’Imaginarium c’est ce théâtre ambulant des fêtes foraines d’alors. Cette boîte à Pandore, ce cabinet des curiosités ou des horreurs qui va nous révéler quelque chose de l’invisible. Cette chambre noire où dansent des ombres, nos peurs, nos désirs. Tous fantasmes devient une projection et toute projection prend vie dans un monde sans limites. Ce « bocal » à images, en d’autres termes, c’est le cinéma.

Teinté de caligarisme et un brin voisin de l’univers de Tim Burton, la dernière aventure visuelle de Terry Gilliam compte l’histoire d’un illusionniste qui vend au diable l’enfant qu’il mettra au monde en échange de la jeunesse. Le Dr Parnassus, aux allures faustiennes, doit piéger cinq âmes innocentes dans son Imaginarium s’il veut sauver sa fille. La trouvaille du film, disons le tout de suite, c’est le génial Tom Waits qui prête ses traits au diable et joue le sadisme à la perfection ! Mais le cœur du film, sa raison même d’exister, c’est l’ingénieux jeu de cache-cache que Terry Gilliam mit en place pour sortir son film de l’ombre. Heath Ledger, alias Tony, anti héros amnésique que l’on découvre pendu au début de l’histoire, « revit », dans tous les sens du terme, grâce à la petite troupe de l’Imaginarium qui le sauve de son faux suicide, et grâce aux talents démultipliés de trois acteurs qui se jettent à sa rescousse lors de l’annonce de sa disparition.

Soit Johnny Depp, plus barré que jamais, Jude Law, malicieux et enfantin et Colin Farell, séducteur incorrigible ! A chaque miroirs traversés, Heath Ledger devient tour à tour l’un de ses compères, nous prouvant ainsi, selon les propres dires de son personnage que « rien n’est permanent, pas même la mort ». 

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30 novembre 2009

2012 de Roland Emmerich

Après nous, le déluge...


Roland Emmerich nous avait prévenus. Souvenez-vous du météorite d’Independence Day et de la catastrophe météorologique du Jour d’après qui devaient éradiquer toute vie humaine de la planète, c’était lui. Après maints effets d’annonce et de démentis sur la potentielle véracité d’un alignement de planètes et de la destruction à échelle planétaire qui en résulterait (rassurons-nous, seule la première hypothèse est vraie), le pari est en partie réussi. En partie seulement. Car les 2h40 du film sont difficilement à la hauteur de la première heure où le plaisir visuel l’emporte tout de même devant l’émiettement partiel, puis total, des Etats-Unis. On retiendra surtout la superbe scène d’évasion en voiture du héros et de sa famille alors que la route se soulève littéralement sur leur passage ! Plutôt donc que de faire un énième papier sur la pertinence ou non du calendrier Maya (pour ceux qui vivraient reclus et ne le sauraient toujours pas, la fin du monde est prévue pour le 21 décembre 2012), pourquoi ne pas revenir sur son précédent opus qui contraste étrangement avec le discours de ce « blockbuster » en puissance ?

Depuis la Guerre Froide, en passant par le traumatisme du 11 septembre, jusqu’à la prise de conscience des enjeux écologiques, la démesure hollywoodienne semble le sujet favori d’une Amérique qui veut exorciser sur grand écran ses angoisses d’apocalypses. Le Jour d’Après, précédent film de Roland Emmerich, nous plongeait déjà dans un changement climatique imprévu et violent, engendrant chutes de températures, inondations et tornades d'une ampleur jamais atteinte. Scénario catastrophe qui projetait l'homme et son environnement dans un véritable « Ground Zero » où tout était à repenser, la géniale idée du film était de se focaliser sur l’organisation sociale des hommes une fois les dégâts plus ou moins maîtrisés et l’apocalypse passée. Symbolique poussée à son maximum, le petit groupe de survivants du Jour d'Après choisit l'immense bibliothèque de Manhattan comme refuge.

Ultime regard sur une civilisation en train de disparaître, ultime berceau de l'humanité réduite à un microcosme réunis par le hasard. La sauvegarde de la culture devient alors le coeur du débat de ces « naufragés » d'un monde désormais anéanti. Alors que le froid sévit, quels livres peut-on brûler ? Quels sont ceux qu'il faut absolument préserver ? Ce dilemme qui consiste à tuer la culture pour sauver des vies ou sacrifier des vies pour sauver notre humanité est également présente dans le dernier opus de Roland Emmerich. Mais curiosité des plus douteuses, ce débat fait place à une banale réflexion reléguée par un pseudo intellectuel qui déclare : « ce livre avec lequel je voyage, et qui va être sauvé en même temps que ma vie, va accéder par la même occasion au patrimoine de l’humanité. Pourquoi ? Parce que je le lis ». Le nivelage par le bas est en marche… Déception donc pour le spectateur qui s’était réjouit du regard plus que cynique du cinéaste lorsqu’il n’hésitait pas à faire envahir le Mexique par les Nord Américains ( !) fuyant la catastrophe dans Le Jour d’Après.

2012 n’est qu’un ramassis de clichés douteux où la Chine est un atelier grandeur nature au service du riche politique Russe mafieux sur les bords, gros, bête et méchant, qui cherche à sauver sa peau. On ne peut alors que vivement recommander au spectateur d’attendre patiemment la sortie de La Route, chef d’œuvre visuel (et de littérature), où le traitement de l’apocalypse atteint enfin son apogée. A suivre donc…

 

 

15 novembre 2009

Soie de François Girard

Un rêve à soi

 

Un village français à la fin du 19ème siècle. Les élevages de vers à soie sont ravagés par la maladie. Hervé, un jeune officier tout juste marié, se voit chargé de la délicate mission de rapporter des œufs sains du Japon.

Soie s’ouvre sur la mauvaise femme. Dans ce qui pourrait être une vision, un rêve éveillé ou un simple souvenir, le héros voyageur du roman d’Alessandro Baricco (un Michael Pitt difficilement reconnaissable) décrit ce qui semble être l’objet de ses désirs : une femme japonaise. Bizarrerie du récit, le plan d’après fait place à une réalité tout autre : un village français et un nom, Hélène. Hélène (Keira Knightley que l’on retrouve toujours avec émotion) c’est le fil. Le fil ténu que le jeune Hervé suit en pensée, tout le long de son périlleux voyage à travers l’Europe, la Russie et l’Asie. Curieux héros en réalité qui parle peu, cache ses joies et freine ses ambitions. Il traverse le monde les yeux grands ouverts mais son esprit reste en France, auprès de sa belle. Pourtant, l’arrivée au pays du soleil levant est une révélation. Etranges paysages de montagnes et de forêts aux arbres tortueux, coutumes à mille lieux de l’Occident qu’il a quitté, maisons vides et silencieuses. La jeune japonaise qui l’accueille, celle du rêve en ouverture, pénètre son esprit et l’envahit de brumeuses visions.

On pourrait reprocher au film sa lenteur, sa mise en scène des plus académiques et sa plasticité sans grande originalité. Mais l’histoire est trompeuse. Hervé, personnage taciturne et un brin antipathique de par ce qu’on pourrait prendre pour de l’indifférence aux choses et aux êtres qui l’entourent, semble étranger au monde et dénué de sentiments. Un jour il est officier, un autre jour il est marchand sur la route de la soie. Un jour il est le solitaire, un autre jour il est marié à la belle Hélène. Rien de ces situations ne semblent pourtant le faire sortir de son isolement intérieur. Le fil de sa voix off guide le récit et le film se déploie au gré de son souvenir. Mais Soie se raconte par le commencement alors même qu’une fin tragique semble peser sur la vie de cet  homme que rien ne semble atteindre. Sa rencontre avec la mystérieuse fille du commerçant japonais semble en réalité plus obséder son esprit que ses sens. Curiosité du film, alors même qu’on s’attend à un énième drame passionné entre deux êtres que tout sépare, François Girard livre au contraire une œuvre tout en retenue. Le jeu des acteurs, soigné, donne à voir des états d’âme plus que des émotions et le film entier semble miser sur un certain sens de la vie plutôt que sur les sensations de l’amour.

Par la narration intérieure du personnage d’Hervé, voix perdue dans l’immensité des paysages français et nippons, fil de la pensée majeure de l’œuvre sur la fragilité des vies, Soie nous berce d’idées qu’on aurait tord de croire toutes faites : souvenez-vous que le film s’ouvrait sur le mauvais rêve. Car une fois le fil brisé entre Hervé et Hélène, une lettre va renouer les deux vrais amants du film. Il n’y a en réalité jamais eu qu’une seule femme, celle dont il est prononcé le nom en ouverture et celle qui prend la place de la vision retrouvée. Le spectateur, tout comme le héros, avait tout faux depuis le début. Son esprit, embrumé et superficiel, n’a vu que les ombres apparentes à la surface de chaque chose et a manqué l’essentiel. Et une fois qu’il a reprit le fil de sa pensée tout est achevé. Hélène, candide épouse que l’on pensait naïve et impuissante face à un mari qui lui échappe toujours, tissait en réalité en secret ce fil qui les réunirait. 

10 janvier 2009

La Forteresse Assiégée : apocalypses cinématographiques

Après le déluge...

The Omega Man, Le Jour d'Après, 28 jours plus tard, Je suis une Légende... Autant de titres qui rendent compte d'un Ground Zero, d'un état planétaire après le déluge, une fois l'apocalypse passée. En témoignent les slogans alléchants de ces films catastrophes : Où serez-vous le jour d'après ? Et plus précisément : que feriez-vous à la place du dernier homme ? Fantasme primitif ancré au plus profond de chaque être humain qui a un jour rêvé d'une robinsonnade au travers de laquelle tout serait à refaire. Le rêve d'un paradis perdu ? Le désir d'une terre promise ? C'est oublier que les fins des deux plus grands romans d'Eden retrouvé sont d'un pessimisme absolu : point de salut pour un Robinson sans son Vendredi, autrement dit son égal, sans qui il ne peut s'identifier lui-même comme un être humain. Point de salut non plus pour ces enfants livrés à eux-mêmes sur l'île déserte de Sa Majesté des Mouches où le petit Ralph comprend que sans organisation ni lien social l'homme n'est plus un homme.

Tout aussi noirs sont en réalité les films d'anticipation mettant en scène un monde post-apocalyptique. C'est qu'il y a quelque chose d'éminemment politique dans ces cauchemars éveillés d'un non-monde. L'instauration d'un chaos est toujours l'occasion pour l'être humain de remettre en cause l'état de droit dans lequel il vit. L'horreur que traduit ce cinéma d'épouvante et d'anticipation réside dans la prise de conscience pour l'être humain de la précarité de l'état social. Car si chaos il y a c'est que ce système contient des failles par lesquelles le désordre et la démesure pénètrent. Mais si le cinéma apocalyptique est également un moyen fascinant pour y observer le comportement humain au sein du bouleversement de son environnement, l'après chaos en dit plus long encore sur la dimension politique qui anime chacun d'entre nous. Car ce que tendent à montrer les films dont il sera question ici est qu'il y a une impossibilité à être apolitique. Même après l'effondrement de l'état de droit l'homme continue d'être un animal politique, allant jusqu'à inventer un nouvel ordre pour survivre.

Cependant, loin de voir ces objets filmiques comme l'illustration d'un retour obligé à un pacte social après le chaos, certains vont puiser plus en profondeur les origines de cette persistance du politique qui meut chacun des survivants. Aussi notre point de départ sera l'énigmatique propos de Seth Brundle dans La Mouche de Cronenberg qui affirme dans un accès de folie : Je suis un insecte qui a rêvé qu'il était un homme et que c'était bien. Mais le rêve est terminé... l'insecte s'est réveillé.

Chaos : effondrement de la Cité et de l'état de droit

Qu'est-ce que l'état de droit ?

L'état de droit selon Seth Brundle tient en trois mots : compassion, compromis et confiance. Cette énonciation certes simpliste n'est pas pour autant dénuée d'intérêt car elle s'applique parfaitement au cinéma d'horreur et d'anticipation dont il sera question dans cette étude. C'est en effet très souvent parce qu'un personnage fait preuve de compassion envers son prochain qu'il sort de son isolement, parce qu'il fait des compromis qu'il parvient à s'organiser et parce qu'il prend le risque de faire confiance à l'autre qu'il survit. A ces trois termes Seth Brundle va opposer la brutalité des animaux vivant sans système politique. Aussi fait-il un voeux : devenir le premier insecte politique. Non content d'être l'animal faisant exception de part sa dimension politique, l'homme va jusqu'à vouloir apporter du politique là où il n'y en a pas. Vision avortée lorsque Seth se rend compte que l'insecte a pris plus d'ampleur sur l'homme qu'il était que l'inverse. Le scientifique fou va alors renverser sa réflexion : d'homme il n'a jamais été question sinon en rêve. Constat des plus pessimistes qui laisserait entendre que de contrat social il n'y a jamais eu, ni même de passage de l'état nature à l'état social. Il n'y a toujours eu que de l'animal et cet animal s'est rêvé homme l'espace d'un instant. Il a vu que cela était bon mais l'animal s'est réveillé.

Ce vrai faux cauchemar n'est pas sans rappeler celui que fait la jeune héroïne du Jour des Morts Vivants, le plus énigmatique des cinq volets de Romero consacrés aux zombies. Vision cauchemardesque ou vision onirique ? Quel rêve croire ? Celui du début ou celui de la fin ? La jeune scientifique est-elle morte ou se souvient-elle d'un passé lointain dans lequel l'état de droit la préservait de ces centaines de mains qui l'assaillent désormais ? Puisque le film s'ouvre et se ferme sur un rêve, celui d'un paradis perdu (le monde avant les zombies) et celui d'un Eden retrouvé (l'île déserte) impossible en réalité de savoir ce qu'il s'est réellement passé. La rupture finale est-elle une ellipse temporelle et spatiale ou l'ultime vision d'une terre à l'abri de tous chaos ? Tout ce qui compte en réalité est l'idée que l'héroïne a elle aussi fait le rêve qu'hier encore elle était un animal politique et que c'était bien mais qu'aujourd'hui l'animal a pri le dessus. Partir de cet horizon bouché ne doit pas pour autant réduire le propos à un pur constat nihiliste qui consisterait à dire que les films d'horreur et d'anticipation tels que les films de zombies montrent un monde sans avenir car dans le chaos le plus total. Bien au contraire, ces films sont l'occasion de déceler chez l'homme une véritable obstination du politique.

Catastrophes météorologiques et nucléaires, fléaux et apocalypses : l'environnement de l'homme en péril

Cette obstination du politique va pourtant être mise à mal à une échelle planétaire, que ce soit par un dérèglement humain, divin, naturel ou surnaturel. La démesure devient le maître mot : excès de morts, excès de pannes et de dysfonctionnements, débordements et dérèglements de toute nature. Un changement climatique imprévu et violent engeandrant chutes de températures, innondations et tornades d'une ampleur jamais atteinte dans Le Jour d'Après, un virus transformant la population en zombies/vampires enragés dans Le Survivant et 28 jours plus tard, un nuage radioactif dans Le Monde, la Chair et le Diable, une armée de morts dans les films de Romero, une vague de stérilité dans Les Fils de l'Homme... autant de scénarios catastrophes projettant l'homme et son environnement dans un véritable Ground Zero où tout est à repenser. Hors la première condition de l'être humain civilisé est de vivre sous un toit. Le grand drame après une apocalypse, une fois les dégâts plus ou moins maîtrisés, est l'absence de foyer. Une cité sans remparts en somme. Dans tous films catastrophes, le premier réflexe de l'homme, avant même de se réunir en groupes, va être la recherche immédiate d'un refuge : une maison pour Barbara dans La Nuit des Morts Vivants, un centre commercial pour les rescapés de Zombies, une bibliothèque pour les naufragés du Jour d'Après.

L'environnement de l'homme est en réalité ce qui prime dans son statut d'animal politique : à la différence des animaux l'homme pense le monde en fonction de lui plutôt qu'il ne se pense en fonction du monde. Si sa capacité d'adaptation est très importante comme en témoigne sa propre évolution il n'en reste pas moins l'animal qui va le plus aller à l'encontre de la nature en la forçant et en la détournant en fonction de ses propres visées. D'où les dérèglements engendrés dans les films cités. Or l'horreur première sucitée par de tels films catastrophes est l'écroulement de ce qui entoure et protège l'homme. L'effondrement de la cité est vécu comme une dissolution de l'état social (toute construction humaine disparaît) par une irruption de l'état nature (des vagues gigantesques détruisant tout sur leur passage). Perte de l'état de droit, anéantissement de la cité, le cinéma post-apocalyptique a également ceci de politique que l'homme, en plus de se retrouver au niveau zéro de sa condition, doit parfois faire face à un envahisseur. Et alors que les simples catastrophes météorologiques et nucléaires ne révélaient qu'un seul genre humain face à l'horreur, les films d'épouvante vont quant à eux remettre en cause l'idée même d'humanité.

Invasions de morts et de contaminés : l'humanité en question

La véritable perturbation, une fois passé le choc de la première rencontre avec un mort vivant, c'est d'avoir à faire à un corps n'appartenant à aucune espèce. Etre un mort vivant c'est être à la fois mort et vivant, c'est donc également n'être ni mort ni vivant. Le monstre, par définition, est cet être qui n'appartient à aucun genre. En philosophie c'est aussi ainsi qu'Aristote appelle toute personne hors des murs de la cité. Les zombies seraient donc ces corps errant entre la vie et la mort, entre l'état nature et l'état social. Ironie tragique : même morts ces somnambules cannibales semblent vouloir à tout prix pénétrer dans l'enceinte de la cité. Comme si du côté des zombies également sommeillait cette obstination du politique. Loin de l'horreur carnassière de Romero, Robin Campillo livrait à ce sujet un curieux film de morts vivants, Les Revenants. Point de chaos externe mais véritable bouleversement interne, le film rend compte d'une petite ville dans laquelle les morts sont revenus à la vie. A l'inverse des films de Romero il n'y a ni contagion ni prolifération, le processus s'arrête aussitôt démarré, laissant les habitants responsables de leurs morts. Or ici l'état de droit est plus que bouleversé, il est renversé, au profit des « revenants ». Le film de Robin Campillo est donc totalement emprunt de politique puisque le véritable problème posé est celui d'une réinsertion sociale, professionnelle et économique des morts.

Les films de morts vivants sont surtout l'occasion de remettre en cause ce qu'il y a de fondamentalement humain en chacun de nous. Ils sont en somme tout ce que nous ne sommes pas et ne sont pas ce que l'on est, d'où la répulsion et l'épouvante sucitées. Dénués de parole, on ne peut  communiquer avec eux ; cannibales, on ne peut s'en approcher sans risque. Le raprochement avec l'animal semble évident. C'est d'ailleurs en les prenant littéralement « en chasse » que les survivants de la tétralogie de Romero vont entrer en contact avec eux. Ce sont des pics embrochant les cadavres dans les dernières images de La Nuit des Morts Vivants, un safari improvisé au sortir d'une armurerie dans Zombies, une extermination méthodique dans Le Jour des Morts Vivants jusqu'à un devenir-zoo dans Le Territoire des Morts. Pourtant Romero ouvre dès le troisième opus  une brèche qui va désormais diviser les survivants : la (re)politisation des zombies. Plutôt que de les tuer, pourquoi ne pas les éduquer afin qu'à leur tour ils en oublient de manger ? C'est donc l'idée même d'un contrat social qui rejaillit ici et la volonté d'instaurer un nouvel état de droit afin qu'hommes et morts vivants puissent vivre, chacun de leur côté. Ce que Romero concrétisera dans son quatrième volet.

Ruines : survivances et résistances de l'animal politique

Un faux retour à l'état de nature

Il y a en réalité quelque chose de fascinant dans tous ces films d'anticipation mettant en scène la fin de l'humanité. Car ils sont souvent l'occasion de recréer un Eden originel, à cette différence près que celui-ci se reconstruit sur les ruines d'une civilisation détruite et qu'il faut donc pour les survivants repartir à zéro sans pour autant rejeter tous les aspects de la modernité. Celle-ci est là et ne peut disparaître : en aucun cas l'herbe ne prendra le dessus sur le bitume, ni la nature sur la ville. Hormis un crocodile sorti d'on ne sait où dans Le Jour des Morts Vivants et les imposantes statues de lions qui semblent avoir pris le contrôle de la ville dans Le Monde, la Chair et le Diable, l'homme ne retourne jamais à la nature. Il maintient au contraire son état social et lutte pour le préserver. L'unique instinct qui semble refaire surface est celui, on l'a vu, de la chasse. Dans un même souci de survie que dans les films de Romero mais cette fois-ci par nécessité de se nourrir, Robert Neville, le dernier des hommes de Je suis une Légende, part chasser quelques biches au volant de sa mustang, à défaut d'un mustang. Il s'effacera d'ailleurs derrière un lion qui l'a devancé, redevenant  ainsi le simple maillon d'une grande chaîne naturelle. Mais l'affaire s'arrête là.

Point de régression, point de rechute dans un quelconque état primitif. Sa volonté souveraine : rester un homme. Aussi, comme le détaille l'ingénieuse bande annonce du film, Robert Neville se soumet à sa propre règle : sport, loisir, chasse et récolte. Chacune de ses journées est minutieusement orchestrées par des habitudes qu'il refuse de perdre : se lever tôt, manger des légumes, faire une partie de golf... et diffuser un SOS par radio tous les jours à midi. Cette obstination à ne rien changer à son quotidien malgré l'extraordinaire de sa situation témoigne en réalité d'une véritable persistance du politique qui demeure en chacun des êtres humains. Et l'outil par excellence choisi ici par ce dernier des hommes correspond à l'invention première de l'homme : le temps. Rythmer sa vie c'est refuser le désordre, l'ordonner c'est nier le chaos. Cette même volonté  de défier le Ground Zero établi se retrouve à nouveau dans la première et la dernière image rêvée de la jeune scientifique du Jour des Morts Vivants. Le film s'ouvre et se ferme sur un calendrier. Le geste premier de la jeune héroïne fut donc de marquer le temps, de se situer dans l'espace-temps comme pour se persuader d'être encore au monde. A la différence des zombies qui errent et se heurtent les uns aux autres comme sous l'effet d'un disque rayé qui passerait sans fin. A la différence des buildings abandonnés et comme statufiés dans l'éternité. Comme si le temps s'était arrêté... est d'ailleurs l'expression qui vient à l'esprit à la vue d'un Londres déserté ou d'un New York figé.

Isolement forcé : mise en place de simulacres

Problème du foyer, problème du temps, problème de l'isolement ensuite. Car une fois le refuge trouvé et le temps réinstauré se pose la question de son semblable. Question réglée pour Ralph Burton dans Le Monde, la Chair et le Diable et pour Robert Neville dans Le Survivant et Je suis une Légende, étant les uniques survivants d'une guerre atomique pour le premier, d'un virus pour les deux autres. La particularité du film de Ranald Mac Dougall est qu'il s'ouvre sur deux chaos : le premier - des nuages radioactifs ont eu raison de toute vie humaine - concerne la terre entière. Le second - un éboulement dans une mine de Pennsylvanie - est ce même chaos, réduit à l'échelle d'un homme. Ironie du sort qui semble s'acharner sur le pauvre mineur : Ralph Burton est à peine sorti sain et sauf d'une catastrophe et d'un isolement forcé qu'il se retrouve l'unique survivant de sa région et bientôt seul au monde. Du premier chaos il ne sera jamais question. C'est au choeur du second que Ranald Mac Dougall préfère nous plonger. D'emblée la situation du mineur noir devient la nôtre : la catastrophe planétaire a lieu hors champ, passées les premières minutes elle ne nous intéresse plus. Au film de science-fiction se substitue alors une véritable fable philosophique. Dans cette société nouvellement reconstituée tout est à repenser. Pour Ralph Burton, noir rejeté par tous dans le monde qui a précédé, c'est d'abord la conquête d'une véritable identité. Et c'est en criant son nom à plein poumons qu'il entre pour la première fois dans un New York désert. Comme une renaissance, un baptême, Ralph se donne le droit de vivre. 

Pour les deux Robert Neville dont la situation est la même il s'agit de ne pas devenir fou à force d'isolement. De la même manière que Tom Hanks parlera des années plus tard à un ballon de foot, de la même manière nos trois hommes oméga ont leur substitut de semblable. Soit des mannequins, un chien et du cinéma. Les mannequins, communs aux trois survivants, sont l'occasion de refaire société en mimant les scènes du quotidien de jadis (prendre le thé, jouer aux échecs, séduire même). Le chien reste le symbole d'une fidélité inébranlable et donc rassurante. Le cinéma enfin, véritable  simulacre d'un monde passé, fait office de trace du politique qui perdure tant qu'il existe un homme sur terre. Ainsi les trois répliques de Shrek permettent à Will Smith de ne pas oublier les codes de civilité lorsque l'on désire établir un contact avec un être humain. Répliques qu'il s'empressera de répéter mécaniquement lors de sa rencontre avec deux jeunes gens. Dans un autre genre, Charlton Heston se projette en boucle Woodstock comme pour s'imprégner des milliers de visages et se noyer dans ces images de foule, lui qui est le dernier homme sur terre.

L'obstination du politique : résister pour survivre

Le premier geste de Ralph Burton traduisant son refus de la situation post-apocalyptique dont il est témoin est de remettre droite une poubelle renversée sur le bitume dans un New York fantôme. Ce geste microscopique tendant à réordonner le chaos pourtant planétaire n'est pas sans suciter l'émoi. Acte de résistance dérisoire mettant en évidence le fondement très fragile sur lequel repose l'état social, à savoir qu'il n'existe que pour autant que chacun le respecte et le fait donc exister par sa volonté. Mais l'humanité authentique est nécessairement minoritaire et ne vaut que par cette fragilité et cette obstination du survivant. De la même manière les zombies se souviennent de leur vie d'avant, aussi investissent-ils le centre commercial du deuxième volet de Romero. Ils sont aussitôt suivis par les quatre survivants qui s'empressent de faire du shopping, tout comme la jeune femme du Monde, la Chair et le Diable qui déclare, rayonnante que « tout était en solde ! » Infime évolution pourtant entre le deuxième et le troisième volet de Romero : l'argent de la banque dont se remplissent les poches deux survivants après avoir opté pour un « on ne sait jamais » chargé d'ironie, ce même argent, un film plus tard, voltige parmi les détritus. Car le chaos est également porteur de non-sens et de démesure. Ralph Burton calcule par exemple qu'il aura assez de vaisselle pour le restant de ses jours s'il décide de ne plus la laver mais de la jeter simplement par la fenêtre.

Résister n'est pourtant pas toujours survivre, ni survivre résister. Pour témoin la scène d'ouverture en hélicoptère du Jour des Morts Vivants. Lui - le pilote - refuse de s'arrêter, elle – la scientifique – insiste pour chercher des survivants. Ici résister est maintenir un minimum le lien social établi entre soi et son semblable par le biais de l'assistance et de l'aide mutuelle. La position de la jeune femme est donc profondément politique et humaine, pourtant le pilote est également dans son droit à ne pas vouloir prendre de risque en se posant à terre et en s'exposant ainsi aux zombies. La différence tient en réalité dans cette prise de risque. Résister c'est prendre le risque de mourir en partant à la recherche de son semblable, soit en répondant à la pulsion du politique. Survivre c'est ne prendre aucun risque autre que pour soi-même, au détriment de l'autre. Cette attitude ne sous-entend pas pour autant faire « bande à part ». L'individu qui a en effet le malheur de s'écarter du groupe pour tracer sa propre route fait rarement plus de trois pas. Car comme on l'a vu plus haut, hors des remparts de la cité, point de salut. Là encore, la scène d'ouverture en hélicoptère du Jour des Morts Vivants en est le témoin cruel : le troisième personnage qui ne parle pas et semble prostré sur lui-même est celui qui mourra avant la fin du film. D'où la nécessité d'instaurer une microsociété.

Microcosmes humains : remise en place du politique

Etats de siège : logiques du dedans/dehors

La première des raisons de l'instauration d'un microcosme est celle de la défense. Puisque invasion il y a il convient de reconstruire des remparts et d'élaborer une stratégie défensive en vue d'un assaut et d'un siège. S'instaure alors une véritable logique du dedans/dehors. Ici le principe est simple : toute personne hors des murs de la cité ne survit pas au chaos environnant. Assaut des morts, siège des vivants, la logique du politique reste de mise : un membre qui se détache du corps social n'est plus un être humain. Dans tous films d'horreur il en est d'ailleurs ainsi, celui qui quitte le groupe ne revient jamais. Dès lors le microcosme devient indispensable. De films en films, Romero va développer cette idée de petite cité dans la cité. C'est d'abord une maison abandonnée dans La Nuit des Morts Vivants. Soit le plus rudimentaire des remparts : une porte. Principe de la boîte dans la boîte, système des poupées russes : une fois la première porte franchie le groupe se précipite derrière la suivante et ainsi de suite jusqu'à épuisement des portes et des double-fonds, jusqu'à la confrontation finale où tout siège finit par tomber. Apparition du premier vrai héros romerien : l'homme bricoleur qui d'emblée a le bon sens de combler toutes les brèches de cette cité de carton pâte que les zombies transpercent avec tant de facilité.

La deuxième citadelle est celle du centre commercial. Cadeau empoisonné en réalité que ce paradis de la consommation où tout est à portée de main : l'immensité démultiplie les risques d'intrusion et suppose donc une vigilence permanente. Les survivants de Zombies se laisseront d'ailleurs « déborder » par des pilleurs à l'affut de ce butin trop voyant pour ne pas suciter la convoitise. Aussi la petite troupe militaire va t-elle préférer un bunker et son dédale de souterrains. Le Jour des Morts Vivants, comme son nom l'indique, ne laisse plus aucun répit à l'homme qui opte pour un isolement forcé hors de l'espace et du temps. Le Territoire des Morts, enfin, rompt avec les trois premiers opus. Romero ne se contente plus de mettre les morts d'un côté, les vivants de l'autre puisqu'il scinde le groupe de ces derniers en deux. Les trois masses sont en réalité parquées : les riches et les dirigeants dans des tours d'ivoire impénétrables, le peuple dans des bidons-villes et les zombies en périphérie de la cité. Ironie : les vivants sont devenus les parias de la société dont le seul but est de pénétrer dans le haut lieu surprotégé des riches lorsque l'environnement de ces derniers est finalement tout aussi surveillé, sinon plus, que le no man's land dans lequel errent les zombies.

Prises de pouvoir et hiérarchisations : (re)naissance d'un chef, (re)naissance de la Loi

Lorsque le père de famille tue le shériff au début de Massacre à la Tronçonneuse il serait réducteur d'y voir l'abolition de l'état de droit et la proclamation d'une forme d'anarchie ou d'un quelconque retour à la loi du Talion. Au contraire, ce que fait le père par ce geste n'est autre que son auto-attribution du statut de shériff. Désormais, la loi c'est lui. De l'effondrement d'un état de droit on passe donc à l'instauration d'un nouvel ordre, comme on l'a mentionné plus haut. Or point d'ordre nouveau sans prise de pouvoir ni hiérarchisation. Chaque chaos qui va suciter un microcosme va par la même occasion engendrer un coup d'état. Et puisqu'au sortir de l'apocalypse le sort du monde échappe aux autorités, c'est aux groupes nouvellement crées qu'il convient de s'organiser politiquement. En réalité tout bouleversement anticipe et précipite l'arrivée d'un chef à la tête des survivants. Qu'il soit la figure autoritaire du père ou l'individu moyen qui se révèle bien souvent héros malgré lui, ce leader se fait accepter par le groupe plus qu'il n'est choisit par lui. Ce principe naît en réalité du passage obligé du huis clos : c'est parce que des individus se retrouvent dans un espace clos, c'est parce qu'il y a confrontation avec l'autre que la microsociété renaît.

L'exemple le plus primaire restant celui du héros de La Nuit des Morts Vivants et de Barbara. Deux personnes suffisent en réalité pour que s'exerce un rapport de force. Cependant, la richesse que constituent les volets suivants est de décliner cette prise de pouvoir selon différents registres : ainsi l'armée prend rapidement le contrôle mais se révèle un loup pour l'homme, tout comme le deviendront les militaires de 28 jours plus tard. Le Jour des Morts Vivants est d'ailleurs dans son entier un film sur le maintient du statu quo, notion essentielle lorsqu'il s'agit de survie dans un monde post-apocalyptique. La question n'est pas pour autant celle de savoir qui détient l'arme et est donc en mesure d'exercer une menace potentielle sur l'autre. Le statu quo est en réalité plus du côté de la fonction d'un individu et du rôle qu'il peut apporter au sein d'un groupe de survivants. Ainsi le pilote et la scientifique survivent grâce au simple fait que l'armée dépend d'eux. Mais le coup de génie final de Romero réside dans l'inversion de l'état de droit qu'il opère à la fin du Territoire des Morts. Politiser jusqu'à l'extrême ses zombies en faisant apparaître de leur côté également un chef vient apporter un dénouement heureux à la folle vision de Seth Brundle : l'animal s'est réveillé mais il s'est découvert animal politique.

Faire à nouveau société : la question de l'art et de la culture

Transis par le froid, bloqués par les eaux et la neige, le petit groupe de survivants du Jour d'Après choisit l'immense bibliothèque de New York comme refuge. Géniale idée du film en vérité qui, afin d'illustrer plus en profondeur la mise à mal du politique chez l'homme, résume sa condition d'être humain de par sa qualité d'animal conscient et pensant. Ultime refuge, ultime regard sur la civilisation en train de disparaître, ultime berceau de l'humanité réduite à un microcosme réunis par le hasard. La sauvegarde de la culture, qui occupe la seconde moitié du film de Roland Emmerich, devient alors le coeur du débat de ces « naufragés » d'un monde désormais anéanti. Alors que le froid sévit, quels livres peut-on brûler ? Quels sont ceux qu'il faut absolument préserver ? Ce dilemme qui consiste à tuer la culture pour sauver des vies ou sacrifier des vies pour sauver notre humanité est déjà présent dans le film de Ranald Mac Dougall. Chaque jour Ralph Burton s'obstine à monter dans son appartement, tonne après tonne, les livres qui pourrissent au sous-sol d'une bibliothèque inondée. Le tonneau des Danaïdes ? « Je n'y pense » pas répond avec un brin de folie dans la voix le ministre et cousin de Theo dans Les Fils de l'Homme. Sorte d'excentrique dégénéré, l'homme d'état va de musée en musée sauver les chefs-d'oeuvre de toute une ère et Guernica, imagerie des plus significative de l'apocalypse environnante, trône dans sa salle à manger. Véritable Noé des temps modernes, sa galerie dont il est l'unique visiteur se nomme d'ailleur L'Arche de l'Art.

Si le devenir-minoritaire de l'homme est pourtant imminent et que, comme l'affirme Theo, « dans cent ans il n'y aura plus personne pour voir ça », l'obstination du politique tient aussi dans cet acharnement desespérée et irrémédiablement voué à l'échec. La tentative de sauvetage démesurée d'un petit groupe d'êtres humains par rapport à l'ampleur planétaire du chaos a tout de même quelque chose de grandiose. Tout comme il est émouvant de voir le Docteur Logan tenter de rappeler à Bobby, le zombie apprivoisé du Jour des Morts-Vivants, qu'il a été un homme au moyen d'un livre et de musique. Amnésie qui n'est pas sans évoquer que selon Platon « apprendre c'est se ressouvenir ». Car il s'agit bien de mémoire et qui dit civilisation dit passé et histoire. Est-ce dans cette même urgence de ne pas oublier la culture qui l'a fait homme que Robert Neville, alias Will Smith, emprunte chaque jour un film différent au vidéo club de son quartier fantôme ? Autre et ultime forme radicale pour se souvenir : se donner la mort en emportant avec soi les notes de la Symphonie Pastorale de Beethoven. Summum de l'obstination du politique mais seule note véritablement dépressive du cinéma post-apocalyptique, le suicide d'Edward G. Robinson à la fin de Soleil Vert porte une ombre sur la persistance non infaillible du politique chez l'être humain.

Ultime (re)commencement...

En optant pour un microcosme à trois, c'est à dire le plus resserré qui soit, Ranald Mac Dougall ajoutait une dimension foncièrement biblique à sa vision futuriste. C'eut été un Eden pour la première moitié du film si le couple que forment Ralph Burton et la jeune femme qui vient à sa rencontre étaient les seuls survivants, c'est en réalité un Paradis perdu dès l'arrivée d'un tiers par qui tous les vices vont renaître : envie, jalousie et désir de meurtre. Le titre du film prend alors tout son sens. Le Monde est la société qui va pervertir l'homme, la Chair ce qui va le détourner de l'essentiel et le Diable celui qui aura raison de son âme. La société désormais reconstituée, une Troisième Guerre Mondiale est imminente. Elle aura lieu, lors d'une chasse à l'homme des plus prenantes, dans un dédale de rues désertes hantées par les échos des pas du pourchassant et du pourchassé. Vues plongeantes et toute puissance des gratte-ciels, ces géants de fer rendent la guerre des deux hommes on ne peut plus insignifiante. Le salut pour cette microsociété réside en réalité au coeur même du vice : la femme. Si c'est pour elle qu'on lève les armes, c'est pour elle et par elle que le feu cessera. Amour et haine, violence et paix, tout semble consommé, achevé. Le véritable Commencement peut désormais advenir.

5 mai 2008

Indiana Jones : Hiéroglyphes sur pellicule

Il est des films cultes qu'on ne peut revoir qu'en version française tant ils ont bercés les jeunes générations. La préciosité de Marcus Brody, l’espièglerie de Demi Lune et la beauté de la sulfureuse Allemande nazie ne sauraient faire autant impression dans nos esprits sans le doublage franchement stéréotypé des années 80. C'est dire à quel point les trois volets de l'homme au chapeau sont ancrés et dans nos mémoires et dans nos oreilles. Inutile de préciser à ce propos que la géniale combinaison des sept notes qui accompagne notre héros le devance bien plus vite que son ombre. Performance démesurée que ces trois épisodes en quatrième vitesse où la musique, quasi omniprésente, ne s’essouffle jamais pour autant. Après le minimalisme de Jaws John Williams compose autant de thèmes qu’il y a de personnages et d’intrigues, habillant ainsi les films de trois couleurs hautement singulières. Et ancrant par la même occasion la première mythologie d’Indiana Jones : un air qu’on fredonne. Car Indiana Jones n'est pas un homme mais tout au plus une esquisse d’homme. Avec sa silhouette reconnaissable entre toutes et comme lui lâche avec beaucoup d'ironie l’un de ses ennemis, « sa place est dans un musée ». Indiana Jones autrement dit appartient au passé, d’où le génie de Lucas et Spielberg de conclure vingt ans après ce qu'ils avaient démarré il y a près de trente ans.

Au passé. Il n'y a qu'à ce temps qu'Indiana Jones peut appartenir. Souvenez-vous, c’était en 1981. Le deuxième épisode de Star Wars (pardon, le cinquième) venait de sortir. Il y était question de guerre, d’étoiles et de fin du monde. Entre deux productions, Georges Lucas semble vouloir tenter une autre aventure, tout aussi pleine de surnaturel, quand Spielberg lui propose de revisiter les serials des années trente. On y suivrait les pérégrinations d’un archéologue qui partirait à la chasse aux trésors, sortirait indemne de tous dangers, tomberait les femmes et les crocodiles… Seulement voilà, l’homme en question c’est Harrison Ford, soit le chaînon manquant entre James Bond et Tintin. Une anecdote de tournage (réelle ou non, elle participe de la légende) résume à elle seule ce qui était en passe de devenir la singularité Indiana Jones. Alors que la princesse Leia lui adresse un dernier « je t’aime » en guise d’adieu, Han Solo, alias Harrison Ford, ne va pas répéter comme prévu « moi aussi » mais son « je sais » si plein d’une assurance machiste à souhait fait tilter George Lucas qui finira par le trouver parfait pour la trilogie de Spielberg. Anti-héros qui reçoit plus de coups qu’il n’en donne, solitaire dont les femmes ne font qu’une bouchée, Indiana Jones ne réussit ce qu’il entreprend que par chance, hasard et l’aide de nombreux personnages tous aussi décalés mais non moins inventifs.

Loin de Star Wars et de ses héros sombres et herculéens, Harrison Ford est porteur d’humour et d’humeur : situations abracadabrantesques, ironie mordante et rires jaunes détournent les scènes pourtant les plus attendues, opérant parfois par clins d’œil et citations entre chaque volet. C’est un flingue contre un maître d’armes à la technique de sabre ultra élaborée mais inutile, c’est l’absence de ce même flingue quand on lui refait le coup un épisode et quelques montagnes plus tard. Duels célébrissimes qui confirment les mythologies autour de l’homme et laissent présager d’improbables scènes pour le quatrième opus à venir. Ce traitement si singulier des intrigues, cet art de la répartie plus proche d’un Sherlock Holmes que d’un Terminator ne sont pas sans nous rappeler qu’avant d’entamer sa trilogie Spielberg rêve de faire un James Bond… et qu’au sortir du quatrième opus il réalisera Tintin. Indiana Jones naît en réalité de la combinaison de ces deux personnages et de la confrontation de leur deux mondes. Mais loin de se contenter de leur ressembler ou de faire à leur manière il va déborder du cadre, détourner les poncifs et finir vainqueur bien souvent malgré lui. Car Indiana Jones ne peut s’empêcher de réussir dans la démesure. La fin justifiant tous les moyens il semble préférer l’effet engendré que la résolution même du problème. Après lui le déluge, tout finira toujours par s’écrouler sur son passage, laissant derrière lui une trace des plus visibles pour les prochains, là ou Tintin et James Bond excellent dans la mesure et l'élégance.

L'autre différence c'est le père. Faire un troisième opus dans lequel notre aventurier se ferait appeler « junior » en pleine quête du Graal relevait déjà de la comédie. Faire en sorte que ce père soit tout aussi espiègle que son fils relevait du pur génie. Indiana Jones et son père (l'inénarrable Sean Connery) sont en réalité deux grands enfants qui ont chacun cessé de grandir à la mort de leur mère et épouse. Mort seulement esquissée dans le troisième volet et qui tombe de façon totalement inattendue entre deux énigmes alors qu'ils sont poursuivis par les nazis. L'absence de cette femme rejaillit pourtant à chaque rencontre amoureuse d'Indiana Jones qui se fait d'abord haïr par ses conquêtes avant de devenir leur victime. De la charmante aventurière de L'Arche Perdue à la beauté froide de l'Allemande nazie dans La Dernière Croisade les femmes sont chaque fois plus sophistiquées, chaque fois plus distantes et incompatibles. Le summum est d'ailleurs atteint lorsque par un jeu de sous entendus on comprend que le père et le fils ont été tous deux les amants de la cruelle Elsa. Car si l'inextricable complexe oedipien est la source de la trilogie première de Star Wars, le problème semble tout aussi loin d'être résolu chez Spielberg. La scène la plus significative reste celle où, prisonniers des nazis et ficelés dos à dos sur une chaise, l'improbable duo tente tant bien que mal de se libérer. L'incompatibilité entre les deux hommes est si grande que chacune de leur coopération vire au drame par leur propre faute.

C’est qu’Indiana Jones a quelque chose de la farce. Toujours en mouvement ou en équilibre, bien plus souvent à terre que debout, fonctionnant plus avec ses mains et ses pieds qu’avec sa tête Indiana Jones est un vrai corps burlesque. Si granguignolesques sont parfois ses péripéties qu’on ne peut les prendre tout à fait au sérieux et que l’idée même d’attraction foraine vient à l’esprit. Le train de la mine, qui est également le motif même du cinéma d’aventure, en est un parfait exemple. Cette idée de parc d’attraction amorcée dans Le Temple Maudit Spielberg va la développer dans La Dernière Croisade d’une façon assez inattendue. Le troisième épisode de la trilogie se place en réalité sous le signe du passé où l’on découvre un Indy jeune, soit Indiana Jones en devenir. La séquence d’ouverture va alors terminer d’achever les cent mythologies autour du héros. Sa cicatrice sur le menton, sa phobie des serpents, son fouet, son chapeau… autant de symboles que l’on a découvert dans les deux volets précédents, autant de signes que des millions de fans s’attendent à retrouver dans l’ultime épisode. Or le génie de Spielberg est d’avoir concentré ces mythologies dans une seule et même séquence et dans un seul et même espace : celui d’un train.

Ce train qui n’est pas un train comme les autres puisqu’il transporte une ménagerie foraine est en réalité un condensé du bestiaire de Spielberg. Chaque wagon va fonctionner comme autant d’intrigues à venir mais déjà bien connues du public puisqu’il s’agit d’un flashback. Véritable boîte à souvenirs dans laquelle Indy se démène tant bien que mal ce train-spectacle où Spielberg a piégé son héros est comme la pellicule folle des trois épisodes réunis qui se confondraient. C’est dans cet espace hors du temps qu’Indy va pouvoir devenir Indiana Jones, c’est là qu’il va rencontrer son premier ennemi et modèle, celui là même qui lui donne son chapeau et dont la silhouette ressemble étonnamment au futur archéologue. Grâce au dispositif du train Spielberg nous donne à voir quelque chose du cinéma, de son cinéma, passé et futur. Confortablement assis dans ce train fantôme le spectateur-passager parcours le monde et se laisse assaillir par d'innombrables créatures comme sortis de leur boîte. Etonnante séquence d'illusion dans laquelle le héros même disparaît dans une malle, cette séquence d'ouverture apparaît comme une pure projection fantasmée. Dans un décor mi cirque mi exotique Spielberg y dissémine des indices comme autant de clins d'oeil qui font sens dans la mémoire du spectateur.

Vingt ans d'absence de l'aventurier à l'écran auront donné naissance à d'innombrables pastiches dont les deux (futures) trilogies de La Momie et de Benjamin Gates sont de loin les plus réussies. Jouant de la singularité de l'humour anglais pour le premier et de Nicolas Cage à contre-emploi pour le second, ces deux adaptations montrent à quel point la trilogie d'Indiana Jones tient désormais lieu de référence. Si La Momie reprend la temporalité de la trilogie de Spielberg, Benjamin Gates opte pour le XXIème siècle et confirme par là même qu'Indiana Jones peut également déterrer des trésors entre deux buildings. Dans la même lignée, la consécration de Johnny Depp par le biais d'un certain Jack Sparrow n'est pas sans rappeler qu'Indiana Jones et Harrison Ford sont désormais deux figures indissociables.

On l'aura compris, l'arrivée tardive d'un dernier opus laisse présager la confirmation des mythologies établies dans la trilogie. La filiation étant la suite logique de la saga (après avoir été le fils Indiana Jones devient enfin le père) peu importe en réalité le sujet et le contenu du film. Car l'inconditionnel qui vient une dernière fois à la rencontre de son héros ne vient plus chercher le sens mais le signe. Pour témoin l'incroyable minimalisme du teaser qui a circulé pendant des mois en guise de bande-annonce et dans lequel on ne voyait, à strictement parlé, rien. Rien qu'un chapeau et un fouet. A croire que le vrai divertissement spielbergien tient désormais dans cette chasse aux signes, dans ce surplus de hiéroglyphes sur pellicule.

28 mars 2008

Portraits de femmes

Soit un film et une série anglophones. Le film (Little Children), sorti en mars 2007 sur les écrans, pointe du doigt et met à nu la décrépitude et les vicissitudes d'une banlieue bourgeoise de la côte Est. La série (Desperate Housewives), dont la renommée n'est plus à faire, n'épargne aucune femme de la paisible banlieue de Wisteria Lane dont le vernis cache pourtant d'inavouables secrets. Point commun de ces deux objets filmiques : la quiétude trompeuse des créatures qui les habitent.

Femmes au bord de la crise de nerf

Ce n'est pas un hasard si Aymeric Mesa-Juan reprend la figure emblématique de Médée pour son film Les Liens (2007) : une mère, de nos jours, tue son enfant face à l'infifférence croissante de son mari. En regard d'autres portraits de femmes qui suivront bien plus tard dans la culture occidentale, Médée apparait comme la femme moderne par excellence : ses actes, aussi cruels soient-ils, sont la revendication poussée à l'extrème de ses droits en tant que femme - affection, reconnaissance, identité et avenir, soit tout ce que lui enlève son mari en la trompant. On l'aura compris, Médée est la première femme de l'Humanité au bord de la crise de nerf. Tout aussi sombres seront par la suite les héroïnes de cet héritage mythologique : Simone Signoret dans Les Diaboliques, Maria Casarès dans Les Dames du Bois de Boulogne et Emmanuelle Riva dans Thérèse Desqueyroux, la belle et inaccessible Camille du Mépris venant compléter la descendance. Nous touchons en définitive ici les portraits les plus modernes de la femme, à la recherche d'émancipation et de plénitude de son être.

Quelque chose de Madame Bovary

Au programme de Desperate Housewives : psychanalyse, chirurgie esthétique, thérapie sur mesure, yoga, adultère... autant de façons pour les femmes d'aujourd'hui de combattre l'ennui et l'insatisfaction qui les rongent jour après jour. Desperate... livre des portraits contrastés de femmes modernes, telles qu'elles ont rarement été dépeintes dans le cinéma contemporain. Chacune d'entre elles enfouit en réalité secrets et mensonges derrière les murs de sa maison, murs qui ne tardent pas à se fissurer et s'effondrer. Mais la vraie dimension sociale et romanesque qui habite toutes ces femmes c'est le bovarysme. Le premier épisode de Desperate... ne commence t-il pas par le suicide de l'une d'entre elles ? Lynette n'est-elle pas tentée elle aussi, lors d'une impressionante crise de nerf, par le pistolet que lui tend gnéreusement le fantôme de la disparue ? Tout aussi fragile et déséquilibrée apparaît Kate Winslet dans Little Children, mère sans aucune autorité, ni sur son mari, ni sur sa fille et faible aux yeux des autres matrones du jardin publique où elle se rend chaque après-midi. Or que font ces mêmes femmes un soir par semaine ? Elles se réunissent au sein d'un club de lecture dont le livre du mois s'avère être... Madame Bovary. Oeuvre que l'on retrouve dans le club de lecture des épouses de Desperate... et qui semble donner le ton à toute la série.

Femmes rayonnantes et séduisantes en apparence, épouses épanouies et fidèles dans leurs dires, ces jolies créatures féminines refoulent en réalité rage, rancoeur, frustration et haine. Tout comme Emma Bovary, leur aînée, elles feignent, se soumettent et ne voient l'accomplissement de leur être que dans le meutre, le suicide ou le mépris.

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