Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Critiques et autres broutilles
24 mars 2008

Donnie Darko de Richard Kelly

Douce folie

Échec lors de sa sortie en salle début 2002, le premier long métrage de Richard Kelly sélectionné au Festival de Gérardmer en dit pourtant long sur la jeunesse américaine. Retour sur un film méconnu.

Middlesex (USA), fin des années 80. Le reaganisme béat laisse place à Bush Senior. Si cette trame historique est bien un élément biographique c’est, à en croire le  jeune réalisateur, le seul. « Donnie Darko - adolescent perturbé victime d'hallucinations permanentes - n'a rien à voir avec moi lorsque j'avais son âge à cette même époque". Le scénario de base était d'ailleurs simple : un réacteur d'avion s'écrase sur le toit de la maison de Donnie. Problème : il ne semble appartenir à aucun avion ayant survolé cette partie du territoire.

Donnie Darko c'est tout d'abord une distribution étonnante réunissant un frère et une sœur -dont la complicité est palpable- interprétés par l'énigmatique et surprenant Jake Gyllenhaal (Le Jour d'après, Brokeback Mountain) et la douce Maggie Gyllenhaal (Le Sourire de Mona Lisa, La secrétaire). On y trouve aussi Patrick Swayze, très loin du gentil médecin des bidonvilles de Cuba ou encore du bellâtre de Ghost : dans un rôle à contre-emploi il incarne de façon caricaturale le rêve américain. Mais la véritable surprise c'est cette jolie enseignante que joue Drew Barrymore qui, loin de se contenter de produire le film, insista pour qu'on lui donne ce rôle. Ajoutons la bande-son rétro futuriste du génial Mickael Andrews et quelques chansons phares du groupe Tears For Fears et nous voici plongés en pleine Amérique des années 80. Mais les temps changent et les mentalités aussi. Dukakis ne s'étant pas imposé, les valeurs puritaines et conservatrices se renforcent, notamment à travers le personnage de Swayze, minable petit écrivain sûr de lui et gourou d'une secte prônant la maîtrise de soi. Sous couvert de cette nouvelle mode fleurissent surtout les cabinets psychiatriques et les anti-dépresseurs pour une Amérique en réalité malade et déséquilibrée. Drogué, Donnie l'est véritablement : chaque fois qu'il prend les médicaments préconisés par sa psy apparaît cet homme déguisé en lapin terrifiant et aux paroles prophétiques. L'histoire toutefois ne se résume pas aux hallucinations d'un adolescent mélancolique et marginal. Sa folie est visionnaire.

Coupés au montage, de nombreux gros plans sur un oeil en disaient pourtant long sur la thématique du film. Les regards sont des miroirs devant d'autres miroirs. Une scène offre une parfaite illustration de ce procédé : Donnie assiste à la projection d'un film lorsque l'image semble soudain se détraquer. Les yeux d'une femme envahissent le carré de lumière qui peu à peu s'enflamme, laissant apparaître un oeil de feu démesuré. Que nous dit ce regard posé sur l'adolescent ? Il le désigne comme le clairvoyant parmi les aveugles, celui qui voit au-delà des apparences et des masques. Car Donnie n'est pas un enfant ordinaire : il voit au-delà du temps. Comme chez Lynch, chaque élément se pose alors comme une pièce d'un immense puzzle qu'il nous faut reconstituer. "Pourquoi portes-tu ce masque ridicule ?" demande Donnie à l'homme déguisé en lapin qui lui apparaît. Et sa vision de lui renvoyer sa question. Donnie s'est lui-même revêtu d'un costume de squelette, comme pour rappeler sa mort prochaine. La fin est imminente et le temps presse. Bientôt le ciel s'ouvrira de nouveau et le voyage dans le temps sera possible. En attendant, Donnie erre tel un somnambule dans les couloirs de son université, véritable antichambre du puritanisme où est enseignée la "ligne de vie" avec à chacune des extrémités la Peur et l'Amour, cependant qu'on pousse sur scène une bande de fillettes de dix ans à peine se trémoussant sous les projecteurs comme des lolitas.

Le paradoxe de cette société conservatrice est bien là : d'un côté le sexe est un tabou créant frustration et malaise (le bon citoyen américain qu'incarne Patrick Swayze se révèle pédophile), de l'autre on le prostitue pour l'argent et la célébrité sous couvert de paillettes. Donnie, lui, rit. Il rit du masque de l'homme-lapin, il rit de Patrick Swayze, de son discours sur la maîtrise de soi, de son père convaincu qu'il faut voter Bush, de ses visions futuristes et des actes criminels qu'il commet dans ses crises de somnambulisme. Car seuls les fous savent rire. Mais le soir d'Halloween les masques tombent.

Entre série B pour teenagers et Virgin Suicides, Richard Kelly filme une jeunesse oppressée qui s'invente un monde et s'y enferme, jusqu'au suicide. Donnie Darko est un film empli d'une profonde mélancolie, accentuée par les paroles de Mad World par Tear for Fears : "les rêves dans lesquels je meurs sont les plus beaux". Et le générique se déplie, révélant l'identité véritable de chacun. Les chœurs achèvent de rendre à l'histoire toute sa tonalité macabre.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité