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Critiques et autres broutilles
24 mars 2008

Truman Capote de Bennett Miller

Vampirisme de l'écrivain

Kansas, 1959. Deux voyous surgis de nulle part font irruption dans une famille de riches fermiers et la tuent pour 50 dollars. Tombé par hasard sur ce fait divers du New York Times, Truman Capote, dandy des lettres en quête d'un nouveau sujet pour son livre, quitte les soirées mondaines américaines pour mener l'enquête et profite de ce crime pour tester la "non fiction novel" ou roman-document.

Après l'adaptation cinématographique par Richard Brooks du roman De sang-froid de Truman Capote, Bennett Miller nous livre bien plus qu'un portrait saisissant du géant américain, incarné par l'étonnant Philip Seymour Hoffman. Il dévoile, non sans cynisme, les rouages du processus de la création littéraire. Capote, observateur cruel et sarcastique, va travailler cinq ans sur son livre tant attendu. Mais une fois les meurtriers arrêtés, jugés puis condamnés, Capote ne se contente plus de reconstituer les faits, il les devance. Pour achever ce qui deviendra son chef-d'oeuvre il fallait que l'histoire elle-même se termine. Le dilemme moral est bien là : Capote ment et triche avec les accusés, afin d'accomplir sa tâche d'écrivain, allant jusqu'à infléchir le cours des événements. 

Partagé entre l'attirance qu'il éprouve à l'égard des accusés et la volonté de les voir pendus pour achever son livre, Truman se perd entre passion et angoisse. Perry Smith, dont il était devenu proche, devient alors plus que l'objet de son roman-document : Truman fait de lui un personnage de fiction. Fiction qu'il invente, jour après jour, mensonge après mensonge. Jouet vulnérable dans les mains de Capote, Perry le coupable devient Perry la victime, réduit à un personnage romanesque. Car en vérité Capote n'écrit qu'en perspective d'une publication, aussi en arrive-t-il à instrumentaliser le jeune assassin dans le seul but que sa parole se déploie, au profit de son oeuvre. Mais la condamnation de Perry sera la mise à mort de sa fécondité créatrice. En l'accompagnant à l'échafaud il se condamne lui-même. La sauvagerie de Perry devient sienne, le monstre n'est plus derrière les barreaux mais apparaît sous les traits d'un mondain ambitieux.

Capote amoureux de lui-même, Capote fasciné par le monstre qui est en lui et que lui dévoile Perry, Capote enfin rongé par le remords quand il comprend, trop tard, qu'"il y a plus de larmes au ciel sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas". Truman a beau se cacher derrière le caractère expérimental de sa démarche, semblable à celle de Flaubert qu'il admirait par-dessus tout, il n'en est pas moins l'acteur principal de son oeuvre. Or cette vérité, portée par sa tendre amie Harper Lee, lui est insupportable : "Tu n'as pas voulu les sauver", précisera-t-elle. Cette douloureuse expérience de vie et de mort le situe au coeur de la condition de tout écrivain : la réalisation de l 'oeuvre parfaite qui va lui coûter la sécheresse de ses prochains écrits. Le caprice, une fois satisfait, fait place au désarroi.

Troublant portrait donc que ce Truman Capote où évolue avec grâce et précision Philip Seymour Hoffman justement récompensé aux Oscars pour le meilleur rôle masculin, et où se révèle toute la complexité des rapports de l'écrivain à ses personnages qu'il façonne puis manipule en véritable démiurge.   

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