Créon ou la tragédie de l'homme qui a dit oui
Créon est un personnage « plastique » comme le montre les adaptations d’Anouilh et de Brecht quant à l’Antigone de Sophocle. C’est avant tout le régent de Thèbes. Il tente d’être un bon roi, d’être sage et calme et pourtant la pièce montre que ses efforts sont vains, étant lui-même pris dans les « mâchoires de la machine infernale » pour reprendre Cocteau, c’est à dire qu’il ne peut échapper au destin et son destin à lui est justement celui d’être un tyran aveugle et fou qui sera le criminel de toute sa famille. Nous tenterons donc de définir le personnage de Créon dans l’Antigone de Sophocle et de noter les évolutions de son personnage travers les adaptations d’Anouilh et de Brecht.
Créon est un roi qui sort de son palais et y rentre aussitôt. Jamais il ne se déplace pour vérifier par lui-même tout ce qu’on lui rapporte, aussi est-il toujours en « décalage » avec les évènements. Il n’a que le chœur pour l’avertir de « ce qui se dit » dans la cité et « ce qui s’y passe ». Créon fait peur à son peuple, le garde par exemple n’ose lui annoncer qu’on a transgressé son édit. Ainsi il apparaît dans la cité de Thèbes comme un tyran et Antigone lors de son arrestation ne cessera pas de le lui reprocher : « la tyrannie (…) peut faire et dire ce qu’il lui plait ». Créon est un roi soucieux de ce que le peuple pense de lui, aussi interroge-t-il souvent le chœur. Cependant, quand les nouvelles ne sont pas dans son intérêt, il refuse d’écouter et soupçonne aussitôt un complot. Il apparaît donc comme quelqu’un de très inquiet, quelqu’un qui sentirait son pouvoir fragile. Il n’aime pas les scandales, comme tout bon dictateur il prône l’ordre, et Antigone est à ses yeux un mauvais exemple pour le peuple de Thèbes qu’il faut éliminer. Il précipite d’ailleurs son arrestation en injuriant les gardes car Créon, tout le long de la pièce, ne parle pas : il crie, il est furieux et il injurie. Créon est cruel et inhumain, ne serait-ce que le dialogue avec son fils Hémon à travers lequel sa misogynie et son coté odieux atteint son sommet lorsque, le mettant en garde contre les femmes, il lui dit : « tu trouveras d’autres sillons pour tes semailles ». Mais Créon est surtout aveugle. Il se trompe tout le temps : il accuse à tord Ismène, la pure et innocente Ismène qu’il traite de « vipère », elle qui est tout le contraire, il soupçonne le garde et Tirésias de mentir et d’avoir été corrompus par l’argent et croit à une future révolte de son fils Hémon. Enfin il accuse Antigone d’être folle, mais des deux il est le plus fou et le reconnaîtra enfin mais trop tard. Ce personnage à multiples visages à cependant été traité de façon différente selon les adaptations.
Dans l’Antigone d’Anouilh ce n’est pas un hasard si le personnage de Créon fait penser à Pétain. En effet dans cette adaptation de 1944 (
Créon dans la pièce de Sophocle a donc plusieurs visages ou plutôt plusieurs types psychologiques tels que la folie ou la colère auxquels se sont particulièrement intéressés Brecht et Anouilh dans leur adaptation de la tragédie. Et si on étudie de près les trois pièces on se rend compte que le personnage principal est avant tout Créon. Il est en effet le personnage qui évolue le plus tout au long de la pièce et le dénouement de la tragédie est à elle seule une véritable conversion de Créon l’aveugle qui rappelle alors le personnage d’Œdipe à la fin d’Œdipe Roi lorsque celui-ci enfin « voit ».