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Critiques et autres broutilles
24 mars 2008

La Télévision Française et le Traitement de l'Information

Ce n'est pas Gogol qu'il faut abaisser jusqu'au peuple, c'est le peuple qu'il faut rehausser jusqu'à Gogol.

Anton Tchekov, 1903

Bazin et Bourdieu en guise d'introduction...

Alors que le cinéma propose des images au sein d'un espace publique, collectif et que la radio ne peut que véhiculer du son, la télévision assure à la fois image, son, direct et proximité : plus qu'au sein du foyer, elle est le nouveau foyer vers lequel tous les regards convergent. « Feu de bois à la veillée moderne » disait Bazin, la télévision rassemble les individus, « ces unités égoïstes », en cercles, en familles. Cependant, loin d'y voir une forme de repli, André Bazin ne voulait pas signifier ce phénomène comme fermeture, enfermement ou encore détournement de la vie, du monde et de ses réalités. C'est bien au contraire en tant qu'ouverture qu'il convient de penser la télévision, véritable « fenêtre » sur « la réalité du monde et des hommes ». Or qu'en est-il aujourd'hui de la télévision ? L'écran qui se doit de montrer une réalité ne fait-il pas tout simplement « écran » à la véritable information ? Les divertissements proposés ne sont-il pas devenus ce qui nous « détourne » de l'essentiel plus que ce qui nous y amène ? Dans son essai Sur la Télévision (1997) Pierre Bourdieu, philosophe et sociologue, alertait sur les effets néfastes de la télévision. Mais il attirait également l’attention sur l’importance d’un tel outil démocratique. Or il semblerait que tout le paradoxe de la télévision tienne en réalité dans cette réflexion : qui souligne l’une de ces deux remarques ne peut écarter l’autre de ses champs d’investigations lorsqu’il se penche sur le sujet.

La Télévision des Trente Glorieuses : main mise et liberté de ton

Rappelons que la télévision dans ses débuts a toujours été placée sous l'idéal républicain. Les mots d'ordre étaient alors informer, éduquer et divertir. Ces directives sont importantes pour comprendre le fonctionnement des émisisons de l'époque. C'est ainsi que dans les premiers documentaires vont transparaître les préoccupations de l'époque : désir de montrer les réalités sociales et économiques au lendemain de la guerre, volonté de débattre sur des sujets contemporains et d'aller chercher l'information quand elle fait défaut (voir le reportage en pleine guerre d'Algérie de Cinq Colonnes à la Une). La télévision du Général De Gaulle était certes totalement sous contrôle, elle n’en était pas moins une télévision caractérisée par une formidable liberté d’initiative et de ton. De 20h à 20h30, le journal est « cadenassé » mais dès 20h35 les émissions sont animées par des hommes et des femmes souvent très loin d’avoir la même sensibilité politique qu’un Peyrefitte ou un De Gaulle. Car dès sa naissance des hommes tels que Bluwal, Jean Prat et Lorenzi vont faire du petit écran un instrument majeur de transmission de la culture au plus grand nombre avec des émissions telles que La Caméra explore le temps. Inventer, enrichir le spectateur deviennent les mots d’ordre de cette télévision républicaine. Et si le ton est souvent didactique c’est qu’il s’adresse à un public qui a soif de découvertes, à l’heure des émancipations coloniales, de la Guerre Froide, du réveil du tiers-monde et des premiers pas de l’homme sur la lune. En un mot : soif de la « révolution planétaire de l’image ». Si le public des Trentes Glorieuses n’est pas le public blasé de nos jours c’est parce qu’il bénéficie soudain avec la télévision d’une formidable fenêtre sur le monde et plus encore du « monde chez soi ». Rappelons également que le choix n’était pas le même qu’aujourd’hui puisque le spectateur d’antan n’a qu’une puis deux chaînes à sa disposition. C’est avec Pompidou qu’un tournant va être amorcé dans le paysage audiovisuel français. Si le journal télévisé de 20h va tendre à se libérer, les émissions qui suivent vont quant à elles perdrent de leur autonomie à cause de l’irruption de la publicité et des indices d’écoute. « Mieux calibrer et rentabiliser les programmes » seront désormais les mots d’ordre. L’apparition des chaînes commerciales va accélérer le processus et les programmes culturels sont relégués en fin de soirée. Parallèlement pourtant l’information s’enrichit avec la création de chaînes telles que LCI, iTélévision et France 24 où la contradiction se met en place face à l’uniformité qu’offrent aujourd’hui les principales chaînes publiques et privées.

Le journal télévisé aujourd’hui : à quoi ressemble t-il ?

Pour mieux comprendre cette évolution de la télévision et du traitement de l'information nous pouvons nous pencher sur l’exemple précis du journal télévisé en nous demandant quel rôle on lui attribue aujourd’hui. En théorie le journal télévisé sert à informer, c’est-à-dire anticiper, montrer, raconter et analyser. Or une chaîne, qu’elle soit publique ou privée, n’est pas à l’abri d’enjeux politiques ou économiques : chaque spectateur est un électeur et un client potentiel. L’actualité nationale ou locale va donc être privilégiée au détriment de ce qui se passe à l’étranger. D’où l’apparition de deux nouveaux mots d’ordre dont le premier est proximité. Ce qui intéresse le journal télévisé d’aujourd’hui c’est le voisin, la famille, la communauté. On comprendra donc que le « coup de boule » de Zidane soit passé devant les attentats de Bombay en juillet dernier. Pur intérêt du public ? Si oui la télévision semble oublier que cet intérêt peut être orienté et manipulé. Mais ce serait faire l’impasse sur un autre impératif majeur : ne pas « noircir » l’actualité. Ce qui nous amène au deuxième mot d’ordre : positiver. Si noirceur il y a c’est un meurtre, un viol ou une disparition d’enfant, soit un fait divers à échelle hexagonale. Sinon la catastrophe planétaire devient une séquence émotion au même titre que l‘anniversaire du Téléthon (voir le Tsunami et la quantité massive de donateurs qui a fait suite). Mais la qualité du journal télévisé pêche plus souvent par ses choix que par son contenu : ampleur du sport, les prévisions météorologiques. Le journal semble parfois s’établir sans aucun ordonnancement hiérarchique ou thématique, alternant séquences heureuses et sujets noirs et tend à devenir un magazine : la vie hors Europe se résume soit par une catastrophe, soit par un fait divers « carnet rose » (la naissance d’un panda au zoo de Los Angeles). C’est que la télévision d’aujourd’hui a à faire à une génération de zappeur. Deux impératifs se mettent alors en place : retenir l’attention et réagir au plus vite. A la trappe donc l’enquête et l’analyse, la frénésie du XXIème siècle relègue les sujets à une minute et trente secondes. Le nouveau défi n’est plus celui d’instruire mais de faire de l’audience, « rameuter les foules » et plaire au plus grand nombre : « l’information-spectacle » est née et les présentateurs trouvent leur place dans la rubrique people. C’est dire si l’on a baissé le niveau : l’expert disparaît du plateau laissant la place à l’acteur et au chanteur populaire, moins ennuyeux. La course à l’audience à fait de l’information un produit comme un autre. Mais le plus grave est lorsque le journal télévisé dépasse son rôle originel de média (en tant qu’il est un support et un vecteur) : bien souvent il crée l’évènement, orientant ainsi les attentes et les craintes des spectateurs.

Internet : les risques d'une information transparente

La radio avait bousculé la presse écrite, puis ce fut au tour de la télévision. Aujourd’hui Internet nous apporte lui aussi sa « vague de l’info ». Souvent désormais c’est grâce (ou à cause) d’Internet qu’une gaffe ou une attitude douteuse est relevée chez un politique ou une célébrité. Et souvent il s’agit d’images d’amateurs exploitées sur des MySpace et autres YouTube. Leur intérêt est certes contestable, cependant ces images acquièrent très vite le « statut d’évènement politique ». C’est qu’une telle démarche semble posséder toutes les vertus : « rapidité, transparence et impertinence ». L'information devient un scoop et les auteurs se vantent de de bousculer le « politiquement correct » prenant ainsi le relais du Canard Enchaînés ou des Guignols de l'Info. Mais n'est-on pas en face d'une illusion ? Celle du « journalisme-citoyen ». Cette transparence de l'information n'est-elle pas un fantasme dangereux ? Ce devoir de vérité relève souvent de l'intrusion, de la délation et de la calomnie, au détriment de l'esprit critique et de « l'art de l'investigation » dont devrait se revendiquer tout journaliste. Là encore il y a un risque dans le nivellement de l'information : l'anecdote et le superficiel prennent autant d'espace, voire cachent, l'essentiel (l'ivresse présumée de Nicolas Sarkozy remplaçant l'analyse des options politiques défendues à ce sommet du G8). C'est qu'il ne faudrait pas confondre information, parti pris et polémique. Pourtant ce journalisme-citoyen trahit bien les faiblesses du journal télévisé d'aujourd'hui : « frilosité » à l'égard des pouvoirs politiques et économiques et « paresse » (les sujets sont calqués d'une antenne à l'autre). Les politiques de leur côté semblent également de plus en plus tentés par ce média qui leur permet en réalité de se passer de la télévision tout en leur offrant la possibilité de mieux contrôler et gérer leur image et de s'adresser plus facilement et directement à l'opinion. « Terrain d'action » et « outil de pouvoir » Internet peut servir d'éclairage mais ne constituera jamais l'élément principal d'un reportage ou d'une enquête avec l'illusion de croire que ce qui est brut est forcément pur ou meilleur.

Gogol et Tchékhov en guise de conclusion...

Pourquoi avoir mis en exergue une citation de Tchékhov, comme tombée de nulle part ? C'est qu'avec un siècle d'avance elle n'a jamais été autant d'actualité et qu'elle ne s'est jamais mieux appliquée qu'à la télévion (Tchékhov parlait lui, à propos du théâtre populaire, de la vulgarisation des grands auteurs dont le risque était de perdre en qualité sous pretexte de les rendre accessibles à tous). Le grand enjeu, la grande hypocrisie des pouvoirs médiatiques, économiques et politiques est de prétendre vouloir répondre à la demande, aux besoins, aux attentes du client-spectateur-éclecteur. En réalité ces pouvoirs ne prennent pas en compte une demande mais impose cette demande, la crée de toute pièce en faisant croire au spectateur qu'il a besoin ou qu'il désire voir ce qu'on veut bien lui apporter sur un plateau. Prétendre que le public ne souhaite que des chanteurs de la Star Academy et des voiture qui brûlent sur son écran est plus qu'un mensonge, c'est une manipulation de l'opinion, c'est la ferme volonté d'abaisser le peuple à Coca-Cola et de refuser de l'élever à Gogol. Il est grand temps d'ouvrir un vrai débat de fond, pas un de ces faux débats qui envahissent les plateaux à l'heure actuelle où le but est de créer de fausses polémiques pour augmenter l'audience. Elever le débat, élever le niveau, éduquer les jeunes à l'image, puisque nous faisons désormais partie d'une société médiatisée, leur enseigner un regard critique afin de prendre de la hauteur et de la distance. Pour que le petit écran redevienne enfin le plus bel outil démocratique de diffusion de la culture et de l'information au plus grand nombre.

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