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Critiques et autres broutilles
24 mars 2008

Pierre-William Glenn à propos de Série Noire

Entretient avec Pierre-William Glenn, Directeur de la Photographie pour Série Noire

Comment est venue l'idée du film ?

J'ai d'abord fait avec Alain Corneau un premier film qui s'appelait France, société anonyme qui à mon avis est un film extraordinaire mais qui n'a eu aucun succès. Là-dessus Corneau est parti sur l'idée qu'il fallait refaire des films de genre, c'est à dire reprendre des genres existants et essayer de faire quelque chose de personnel, dans un cadre donné et avec des codes. Il a donc pris le film policier avec la référence du film noir américain. Corneau avait déjà fait des films policiers, comme Police Pyton, et j'avais moi-même fait avec lui La Menace et Le Choix des Armes. Ce sont des films extrêmement découpés dans lesquels le jeu des acteurs est relativement secondaire, où c'est le scénario qui compte et où le rythme est un rythme de montage qu'on ne trouve pas au tournage. C'est d'ailleurs en ça que Corneau est plus un monteur qu'un réalisateur, le rythme de ses films n'est pas celui du tournage mais celui du montage.

Quel était le parti pris pour Série Noire ?

Corneau était parti dans l'idée de faire beaucoup de plans. Je lui ai alors proposé de faire le contraire de ce qu'on avait fait sur les autres films : plutôt que de tout découper, faire un film sur les acteurs. Cela supposait qu'on ne les coupe pas quand ils jouaient, qu'on essaye de leur donner une liberté qui, du coup, était très contraignante pour la lumière. J'ai donc pris le risque d'avoir des éléments non éclairés et des passages dans lesquels on ne voit pas les acteurs. L'idée était d'obtenir une image plus brutale, plus réaliste et de tenter de retrouver quelque chose du film noir. J'avais quant à moi le sentiment que Corneau pouvait s'attacher à son personnage qui fait pourtant des choses répréhensibles et désagréables. Arriver à s'attacher à un tel personnage c'est une manière de filmer et c'est pourquoi Dewaere à été filmé avec autant de proximité.

Comment avez-vous procédé ?

Comme Dewaere misait une grande part sur l'improvisation toute l'aventure du film était quelque chose qu'on ne pouvait pas préparer, c'est à dire qu'on ne pouvait rien faire avant que les acteurs jouent. Ce qui rendait Corneau très mal à l'aise car c'est un type qui travaille à l'ancienne du point de vue du découpage. En ce sens Série Noire est à mon avis un film qu'il a plutôt subi. Par exemple pour une scène découpée au départ en 25 plans on en faisait un seul au final. C'était un principe tout à fait excitant pour la toute petite équipe que nous étions. J'éclairais le décor une bonne fois pour toute, deux caméras tournaient en continu et si l'acteur jouait vingt minutes on essayer de le filmer vingt minutes, en steadycam. L'écriture du scénario était donc extrêmement précise. De mon côté il me fallait de la pellicule surdéveloppée, un éclairage définitif du décor auquel je ne retouchais plus et les deux caméras. Ce principe était d'ailleurs nouveau à l'époque. On utilisait deux caméras pour la télévision mais pas pour le cinéma. Le film n'a donc pas été dur à monter car du fait de ces deux caméras qui partaient en même temps tout était en continuité : grâce aux deux axes différents il n'y avait jamais de problème de raccord.

Comment avez-vous éclairé les décors en extérieur ?

Le plus important quand on tourne est de se demander qu'est-ce qu'on va poser dans l'image, comment on va l'exposer. Pour les scènes en extérieur, lorsqu'il a neigé on s'en est servi et lorsque les ciels étaient sombres on s'en est servi aussi. J'ai augmenté le contraste de l'image avec des filtres pour densifier le ciel. C'est quelque chose qui ne se voit pas, à l'oeil ça semble naturel. Il faut dire aussi que Corneau était très exigent sur les heures. Quand on tourne en décor naturel il y a une heure précise pendant laquelle il y a une certaine lumière et il fallait donc s'y tenir. Pour ce qui est de la part d'ombre sur les personnages j'avais choisi de ne jamais rectifier, c'est à dire de ne pas équilibrer. Il y avait donc seulement un axe de lumière pour les visages en gros plan et les contre-jours. Je rectifiais seulement pour les yeux avec des réflecteurs pour qu'on les voit dans le noir mais c'est tout. Une fois le décor posé je ne changeais rien à la lumière.

Et pour les décors en intérieur ?

Pour les intérieurs du film il s'agissait de toutes petites sources de lumière qui donnent quelque chose de très naturaliste mais c'était difficile qu'elles n'apparaissent pas dans le champ à cause des longs plans séquence. L'intérêt d'un film comme Série Noire c'est qu'on ne voit jamais la lumière. C'est à dire qu'il fallait que ça soit éclairé comme si ça ne l'était pas. Le principe des lumières dites "réalistes" c'est que la lumière est censée venir des sources de lumière. Il fallait donc reconstituer à partir des sources de lumière au-dessus de la lumière et hors-champ le principe de lumière qu'elle diffuserait. J'avais pour ça très peu de moyen et dans ce film là il s'agissait de lumière en réflexion (sur le plafond par exemple) pour avoir les niveaux lumineux qui soient suffisants. C'était le principe du film mais pour cela il ne fallait pas avoir peur de l'ombre et du noir.

En voyant l'utilisation de la lumière dans Série Noire je pense aux films de Tourneur...

Tout à fait. C'est d'ailleurs Tourneur qui explique que la lumière doit toujours être fonctionnelle dans les films. Mais au sens où il faut la rendre fonctionnelle.

Propos recueillis en novembre 2007 à la CST.

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