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Critiques et autres broutilles
24 mars 2008

Dracula de Tod Browning

La toile de l'arraignée

Bela Lugosi est sans conteste une figure mythique du cinéma fantastique, comme le montre si bien Ed Wood de Tim Burton, et Dracula est son rôle phare. Première version officielle du roman de Bram Stocker, Dracula marque le début d'une série de films montrant à quel point ce récit inépuisable contenait tous les ingrédients du fantastique. Dans l'extrait où Renfield arrive au château du comte après avoir traversé les montagnes hostiles des Carpates, Tod Browning opte pour une mise en scène non spectaculaire, créant pourtant une atmosphère à couper le souffle.

Pas de musique, peu de dialogue, pas d'effets spéciaux ni mouvements de caméra, seulement de longs plans larges et fixes. Cette mis en scène non spectaculaire pour suggérer le non ordinaire (la demeure d'un vampire) n'en est que plus impressionnante. A l'arrivée de la voiture de Renfield tous bruits naturels cessent, jusqu'à sa propre voix, stupéfait face à la disparition de son cocher. La fatalité pèse déjà sur lui : une main invisible l'a mené droit dans l'antre du vampire. A partir de ce moment-là, le son est comme coupé, tout comme le souffle de Renfield, interloqué. Seuls quelques bruits bien précis attirent par la suite son attention et la notre. Second signe de fatalité et d'une présence invisible : la porte du château s'ouvre d'elle-même dans un grincement effrayant. Il semblerait que ce soit encore plus silencieux à l'intérieur, c'est comme un autre type de silence auquel s'ajoute la lenteur du jeu de Renfield qui s'avance, dans une magnifique plongée, dans un décor gothique et démesuré. Déjà il semble tout petit. Mais toujours pas de musique ni d'effets. Plus étonnant encore : l'arrivée de Dracula, majestueuse mais silencieuse, on n'est nullement effrayé car on nous le montre, tout simplement. A nouveau la rencontre est fatale, attendue, prévue depuis longtemps car Renfield croyant reculer s'avance en réalité dans les griffes du comte. Rien ne vient troubler cette rencontre, à peine Renfield a-t-il un sursaut de surprise, plus que de peur. Et le bruit de quelques chauves-souris n'est rien à côté du silence de mort qui règne. Tod Browning livre ici une rencontre épurée, dénuée d'effets spéciaux, de mouvements brusques de surprise ou de peur. Dracula et Renfield sont deux ombres qui ne peuvent que se rencontrer, se trouver dans l'immensité d'un espace et sous le poids d'un silence, à eux seuls spectaculaires.

A ce choix de mise en scène s'ajoute le motif de la proie, du piège qui se referme, motifs chers au cinéma fantastique. Renfield apparaît d'emblée piégé : son cocher a disparu, une porte s'ouvre et le voilà à la merci de Dracula. L'immense pièce où il se trouve est partiellement recouverte de toiles d'araignées, mais une, immense, surplombe l'escalier. Elle est un rideau, le passage entre deux mondes, et Dracula se trouve derrière. Son entrée a tout de naturel : on le voit arriver par l'escalier, pourtant il traverse la toile sans l'endommager. S'opposent ensuite deux types de dialogue : les répliques du comte sont calculées, pleines d'ironie alors que celles de Renfield sont plutôt de l'ordre de l'ironie tragique, celui-ci semble soulagé lorsque Dracula se nomme ! Il en est de même lorsque le vampire lui dit que le sang est la vie et que naïvement le jeune homme acquiesce. Mais la véritable ironie se trouve dans la phrase du comte : ''L'araignée tisse sa toile pour la mouche imprudente", autrement dit, "Je vous ai tendu un piège". Mais Renfield inconscient traverse la toile malgré tous les avertissements autour de lui : le cocher disparu, la porte qui s'ouvre, les chauves-souris et les hurlements de quelques créatures, jusqu'au nom même et aux paroles à double sens de Dracula.

Dans le cinéma de Tod Browning les toiles d'araignées remplacent les ombres, le silence la musique et la lenteur du jeu des acteurs tous effets spéciaux. Tod Browning ne cache rien, ne suggère rien mais montre tout : la surprise n'est pas possible mais la peur est bien là et fait cesser toute respiration. Quoi de plus effrayant en effet que l'absence de bizarreries ? Quoi de plus surnaturel que le naturel ? Tod Browning touche ici le cœur de la notion de fantastique.

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